Ethnicité et race. Séminaire MIM. Séance 5
Ethnicité et ‘race’ : concepts, classifications, usages scientifiques et politiques Discutante : Françoise Vergès (London University)
Elsa Dorlin (Université de Paris 1) : « Race et médecine
coloniale »
Nicolas Bancel (Université de Strasbourg et de Lausanne) :
« L’imaginaire racial de la colonisation .Approches d’une
archéologie des modes non discursif de diffusion l’idée de race
»
Résumé : La connaissance des conditions culturelles de l’expansion coloniale, l’analyse des formes de discours de légitimation politique présidant à celle-ci, l’objectivation de la colonisation comme processus dialectique mettant en jeu les sociétés colonisées comme la "métropole", commencent à être mieux connus, étudiés, compris. Dans cette perspective, dans le sillage des postcolonial studies - et malgré le retard considérable et les résistances que ce courant connaît en France -, ces travaux remettent en question un "récit national" fondé sur l’assurance de l’extranéité géographique du processus colonial comme de son éloignement temporel, pour débusquer dans ce processus la matérialisation d’une inclinaison hégémoniste de la raison, les limites ou les conséquences d’une appréhension étroite de l’universalisme, le hiatus entre des principes éthiques (que l’on retrouve d’ailleurs dans les discours légitimant la colonisation) et les modes concrets de gestion et de gouvernementalité par lesquels se réalise la colonisation, modes marqués par la construction d’une frontière intangible entre "indigène" et colonisateurs et, envers les premiers, par la brutalité et la violence, concrète et symbolique.
Pour comprendre comment ce double discours de l’Europe a pu s’instituer durant la période coloniale, nous faisons l’hypothèse que le concept de "race" en constitue la face nocturne. Nous retrouvons en effet la "race" dans toute l’étendue des formations discursives littéraires, philosophiques, politiques ; nous la retrouvons dans le mode de gestion coloniale : dans les appareils juridiques et administratifs des univers coloniaux ; mais aussi dans les pratiques ordinaires de l’exploitation, de l’infériorisation systématique, du déni de l’autre, si fréquentes en contexte colonial.
Nous la retrouvons aussi, en métropole, sous des formes extrêmement diverses, dans les formations non-discursives qui se déploient avant, pendant et après la période coloniale : spectacles de tous genres, images de tous types, pratiques sociales inaperçues. C’est une partie de cet univers des formations non-discursives que nous souhaiterions aborder ici, afin de mieux pénétrer dans une inconscient colonial qui s’impose avec d’autant plus de facilité et, par hypothèse, d’efficacité, que ces formations ne produisent pas un discours, mais plutôt l’habitus d’un rapport à l’autre, à l’ailleurs, à la colonie. C’est pourquoi ces formations non discursives, qui se matérialisent dans des dispositifs culturels ordinaires, sont constitutives de la diffusion, de l’acceptation et de l’incorporation de la "race" comme principe explicatif et comme sens commun. Dans cette perspective, nous aborderons au cours de ce séminaire, la construction de deux types de spectacles : d’une part les "spectacles ethnographiques" depuis le dernier tiers du XIXe siècle, et, d’autre part, l’exposition coloniale de 1931.