Ethnicité et race. Séminaire MIM. Séance 12
Lignes de couleur et métissage
Ethnicité et ‘race’ : concepts, classifications, usages scientifiques et politiques
Lignes de couleur et métissage
Mardi 21 octobre 2008, de 14h à 17h, salle Sauvy, INED
Jean-Luc Bonniol (IFEHA, Aix en Provence) « Une généalogie des mathématiques raciales »
On ne peut aujourd’hui que constater une reviviscence de la référence raciale, dans le champ du politique tout comme dans celui des sciences sociales, à l’heure où les « races » n’existent plus, mais où les noms de la race n’arrêtent pas d’être utilisés pour l’identification des différences. Afin de contribuer à la compréhension de ce « retour du racial » et de ce qui semble être la réactivation d’une pensée des origines, il est proposé de s’interroger sur des dispositifs cognitifs hérités des sociétés esclavagistes, en particulier ceux relatifs à deux logiques raciales de partition sociale, correspondant l’une aux catégories de « métissage » et l’autre à la « ligne de couleur ». Logiques saisies à la fois dans le cadre de l’expérience coloniale française, et en même temps dans un espace plus large de circulation transnationale. On partira de l’expérience historique de l’ancienne Saint-Domingue, où catégories de métissage et ligne de couleur ont été pour la première fois théorisées ; on suivra la notion de « ligne » jusqu’à ses expressions contemporaines, en passant par ses formulations américaines du début du XXe siècle, émanant des deux pôles raciaux opposés (W. E.B. Du Bois et Madison Grant).
Jean-Luc Bonniol, anthropologue, Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, professeur à l’Université Paul Cézanne, auteur de La couleur comme maléfice. Une illustration créole de la généalogie des « Blancs » et des « Noirs », Paris, Albin Michel, 1992 et de (éd.) Paradoxes du métissage, Paris, Editions du CTHS, 2001.
Jean-Loup Amselle (EHESS) « Métissage update »
Il semble qu’il existe un profond paradoxe du métissage puisqu’au moment même où les anthropologues, et les spécialistes des sciences sociales en général, insistent sur la plasticité des identités ethniques et culturelles, les acteurs concernés récusent totalement cette approche en affirmant la pureté de leur ascendance. A cet égard, on peut se demander si le métissage n’est pas un luxe de nantis qui n’ont rien à perdre et qui peuvent donc se permettre de déconstruire leurs identités à moins qu’il ne soit aussi une façon subtile de renforcer l’identité blanche chrétienne. A l’inverse, pour les pauvres et les dominés, la défense de l’identité ethnique et culturelle serait une nécessité stratégique, ou leur serait proposée comme telle par certains leaders de communautés et organisations internationales (ONU, UNESCO), lesquels poussent les acteurs sociaux du Sud à donner à leurs revendications une forme de groupe. De ce qui précède deux conclusions peuvent être tirées : 1/ la notion de métissage est contestable sur le plan intellectuel et elle est rejetée par beaucoup d’acteurs sociaux du Sud même si ce n’est pas toujours pour de bonnes raisons, 2/ le métissage est une notion à géométrie variable et un enjeu social disputé dont l’emploi ou le rejet n’a de sens que dans un contexte social donné.
Jean-Loup Amselle, anthropologue, Directeur d’études à l’EHESS, dernier ouvrage paru, L’Occident décroché, enquête sur les postcolonialismes, Stock, 2008.