Santé publique, colonialisme et médicaments miracles en Afrique. Réflexion à partir du cas de la pentamidine
Présenté par Guillaume Lachenal (Université Paris Diderot et Institut Universitaire de France) ; discutante : Anne Marie Moulin (CNRS)
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les médecins des colonies font de l’éradication de la maladie du sommeil leur priorité. Un nouveau médicament vient d’être découvert: la Lomidine (pentamidine), qui protège contre la maladie pendant plus de six mois, par une simple injection dans la fesse. Dans l’enthousiasme, de grandes campagnes de « lomidinisation préventive » sont organisées dans toute l’Afrique. Pour la première fois, l’éradication semble possible. La méthode connaît quelques ratés – la molécule se révèle en fait inefficace et dangereuse en prévention – mais ils ne freinent pas les médecins, au contraire. Pour éradiquer au plus vite, il faut « lomidiniser » l’intégralité des populations, de gré ou de force.
En retraçant les réseaux entre Etat et industrie pharmaceutique où se construit l’expertise sur le médicament, je décrirai comment les médecins se sont obstinés à utiliser le médicament et comment ils donnèrent sens à ses "ratés", dans le contexte politique de plus en plus tendu de la "décolonisation".
Je montrerai comment la trajectoire de la pentamidine met à jour sous une forme extrême quelques traits fondateurs de la médecine de masse en contexte africain – messianisme pharmaceutique, racialisation du raisonnement médical, escalade coercitive, quête forcenée de l’éradication – et de quelles manières cette histoire peut résonner dans le présent.