Quantifier l’avortement clandestin (1900-1950) : démarches savantes, enjeux politiques
Discutante : Catherine Rollet Université de Versailles/St-Quentin
Comme d’autres pratiques clandestines, l’avortement illégal
constitue un défi à l’appréhension statistique des phénomènes
sociaux. Pourtant, les tentatives visant à estimer l’ampleur de ce
« fléau social » n’ont pas manqué depuis que l’avortement «
criminel » est devenu un sujet d’anxiété sociale dans le courant du
XIXe siècle. Si les chiffres de l’avortement ont constitué un mode
privilégié de légitimation de l’action publique, et un outil
important dans la mise en place de dispositifs biopolitiques dans
la France contemporaine, on doit d’abord y voir de fragiles
constructions, péniblement établies, obtenues à travers
l’interaction de différents univers sociaux et domaines de
pratiques. Comment et pourquoi a-t-on tenté d’estimer le nombre des
avortements ? A quels usages sociaux ces chiffres ont-ils donné
lieu ? Peut-on, enfin, extraire rétrospectivement de ces sources, a
priori aussi précaires que tendancieuses, des savoirs historiques
nouveaux ?
L’analyse des données et des études statistiques médicales
accumulées à l’époque « clandestine » permet sans doute moins
d’approcher la réalité quantitative de cet objet démographique en
lui-même que de contribuer à la connaissance des pratiques sociales
qui s’y rattachent. Elle donne matière à la compréhension des
échanges de préoccupations et d’informations entre le champ médical
et le champ des études sur la population. Elle livre ensuite des
indications sur le tiraillement des médecins, qui semblent hésiter
entre une attitude de neutralité protectrice et la tentation
d’œuvrer par leurs moyens propres à la lutte contre le « fléau »,
quitte parfois à se muer en agents de sanction.