Peut-on se fier aux bases de données internationales sur la gouvernance ? Une confrontation entre enquêtes-experts et enquêtes-ménages en Afrique subsaharienne
Intervenant: Mireille Razafindrakoto & François Roubaud (IRD-DIAL)
L’émergence des institutions, de la gouvernance et tout particulièrement de la corruption, comme enjeu majeur du développement a engendré la multiplication de bases de données internationales censées mesurer ces concepts. L’objectif est de s’interroger sur la pertinence et les limites des indicateurs globaux de gouvernance basés sur la perception des experts. Notre analyse mobilise un dispositif d’enquêtes originales réalisées simultanément dans huit pays africains, couplant deux types d’enquêtes sur la même thématique. Les premières, menées auprès de la population (avec un échantillon de 35 000 personnes au total), permettent d’obtenir un certain nombre d’indicateurs de gouvernance basés sur les expériences, les comportements et les points de vue. Ces enquêtes fournissent notamment une mesure objective de l’incidence et des caractéristiques de la petite corruption bureaucratique. La seconde, menée auprès de 350 experts (enquête-miroir), mesure la perception que s’en font les experts.
En confrontant ces deux sources, nous montrons que ces derniers
surestiment systématiquement l’incidence de la corruption et que le
classement des pays induit par leurs perceptions n’est pas corrélé
avec la réalité. L’erreur d’appréciation des experts est d’autant
plus forte que les pays sont mal notés dans les bases
internationales, pénalisant les plus pauvres d’entre eux. Les
analyses économétriques mettent également en évidence la présence
de biais idéologiques, ainsi que l’existence d’un modèle culturel
implicite, cohérent mais erroné, sur la façon dont « l’Afrique
fonctionne ». Les experts ont tendance à surestimer massivement le
niveau de tolérance aux pratiques corruptives de la part de la
population et à sous-estimer l’importance qu’elle accorde aux
questions de « bonne gouvernance ». Ces résultats plaident en
faveur d’un usage plus précautionneux et raisonné des indicateurs
globaux de gouvernance et confirment la nécessité de les compléter
par des enquêtes auprès des acteurs concernés.