Le meilleur des monstres.
La controverse sur le nombre d’habitants de Londres et de Paris
à l’âge classique.
Discutant : Philip Krieger (Oxford Institute of Ageing, Oxford
University)
Parmi les controverses sur les questions de population qui eurent lieu à l’âge classique, celle qui opposa les partisans de Londres et ceux de Paris quant à la taille respective des deux villes ne fut ni la moins importante ni la moins intéressante.
L’affaire ne tient en effet pas uniquement à la fierté nationale. Le débat est d’abord d’ordre "écologique" avant la lettre : les grandes villes sont souvent à cette époque considérées comme des "monstres" où il devient de plus en plus malsain de vivre, et qui posent un difficile problème d’approvisionnement. Or, le plus intéressant de l’affaire n’est pas l’examen des différents chiffres brandis mais bien la manière dont ces chiffres sont obtenus. Que ce soit chez les Français, chez les Anglais ou chez les participants hollandais et allemands au débat, la principale technique de l’arithmétique politique est mise à contribution, à savoir différents multiplicateurs utilisés pour parvenir au résultat souhaité.
Les pionniers de la science des populations intéressés par ce débat s’interrogent également sur la pertinence des données dont ils disposent, sur les moyens de déterminer avec le plus d’exactitude possible la superficie qu’il faut prendre en compte lorsque l’on examine ces villes, par exemple s’il faut y inclure ou non les faubourgs. Avant tout recensement, on tente par là, non seulement d’estimer la population d’une ville, mais encore celle d’une région, d’un pays, voire d’un continent. Enfin, et ce n’est pas le moindre intérêt de cette controverse, la compétition suscitée entre les deux villes croise l’interrogation sur une éventuelle dépopulation du monde : les vastes cités de l’Antiquité n’étaient-elles pas incomparablement plus peuplées que les deux prétendus "géants" actuels ?
Partant d’un article de J. Dupâquier paru en 1998, je tente de refaire l’histoire de cette controverse et surtout de mettre en valeur la manière dont les outils de mesure sont forgés et opèrent dans le cas spécifique d’une comparaison internationale de plusieurs sortes de données, de plusieurs nombres et de plusieurs types d’estimations.