La "revanche des berceaux" au Québec et la mémoire collective
Discutante : Magali Mazuy (Ined)
La littérature concernant la fécondité au Québec est pour le moins très ... féconde! En effet, il ne se passe pas une semaine sans que les médias ne fassent référence à la fécondité québécoise actuelle qualifiée parfois de « chétive », qualificatif utilisé notamment en regard d’un passé, pas très lointain, où la population québécoise aurait expérimenté une natalité débordante. Cette lecture du passé démographique du Québec nourrit toutefois de nombreuses images qui peuvent parfois conduire à déformer la réalité. Certaines expressions telle « revanche des berceaux » ou encore «hypofécondité » peuvent tendre à véhiculer une lecture de la réalité démographique québécoise, présente ou passée, qui se serait toujours inscrite dans les extrêmes. Quelques analystes agitent même le spectre de l’extinction prévisible de la population, comme si la faible fécondité - et son corollaire, le vieillissement - était un problème bien spécifique au Québec. Afin de bien faire ressortir les contrastes, les mêmes auteurs feront appel aux images des grandes familles canadiennes-françaises du passé, laissant ainsi croire que tous les descendants des Canadiens-français catholiques d’aujourd’hui proviennent de familles de 12 à 15 enfants !
Ainsi, s’il est une expression qui a marqué la mémoire collective au Québec c’est bien cette fameuse revanche des berceaux. Encore de nos jours l’expression est rapportée régulièrement pour remémorer le passé démographique des Canadiens-français. Resituée dans le contexte canadien et québécois du tournant du siècle passé, cette expression colle parfaitement à l’idée de résistance ou au concept de survivance proposé par certaines écoles de pensée qui s’intéressent à l’histoire du Québec. Cette survivance de la population catholique canadienne-française se serait notamment concrétisée à travers une fécondité particulièrement élevée, ce qui, avec l’arrêt de l’immigration française du vieux continent après 1760, aurait permis à ce groupe de maintenir son poids démographique dans l’ensemble canadien.
En faisant tour à tour du Québec une terre de sur-fécondité à
partir du milieu du 19ième siècle et une terre de sous-fécondité
depuis le dernier quart du 20ième siècle, on en vient à opposer des
idées extrêmes, risquant ainsi de faire oublier la baisse séculaire
de la natalité qu’a connu le Québec et qui se caractérise davantage
par la continuité plutôt que par les ruptures. L’objectif de notre
intervention est d’examiner, sur près d’une centaine d’années
(1860-1950), le discours et les tendances en matière de fécondité
au Québec. D’abord, nous examinerons l’origine de ce discours sur
la survivance canadienne-française qui s’articule sur cette idée
forte, celle d’une « résistance démographique ». Celle-ci est
tellement bien inscrite dans la mémoire collective qu’elle ressort
continuellement dans les médias et dans les textes de différents
analystes. Nous passerons ensuite en revue les tendances en matière
de natalité et de fécondité au Québec depuis la Confédération et
jusqu’aux années 1930 et ce, à la lumière des estimations que nous
fournissent différents indicateurs. Les comparaisons avec les
tendances observées ailleurs en Amérique du Nord pendant la même
période nous conduiront à dresser un portrait moins « exceptionnel
» de la fécondité québécoise. Nous terminerons en identifiant
certains des éléments qui peuvent expliquer cette nouvelle lecture
de la fécondité passée du Québec et le fait que cette « revanche »
ait été, somme toute, bien peu revancharde!