La causalité dans les sciences de la population : retour sur le principe de l’action humaine
Discutant : Daniel Courgeau (INED)
Dans la littérature anglo-saxonne, l’idée du critère (ou
principe) de « manipulation » dans l’étude des liens de causalité
est débattue. Cette idée ? Que la différence entre deux états
d’être ne peut pas constituer un « effet d’une cause » en soi sauf
quand les tels états (ou conditions) sont sujets à la manipulation
dans le sens d’une expérience, où l’expérimentateur peut assigner
aléatoirement (de manière réelle ou virtuelle) les sujets à ces
conditions. C’est un peu un casse-tête, car conceptuellement
l’expérience est fortement présente dans la définition
(contemporaine, moderne, statistique, anglo-saxonne) de « l’effet
d’une cause » mais parmi les scientifiques en sciences sociales
(surtout démographes) on a tendance à tenter d’identifier les
causes dans des faits plus ou moins immuables, comme le sexe ou
l’âge. Effectivement, la liste des « causes » potentielles dans la
littérature est longue, mais la liste des facteurs, surtout au
niveau individuel (où nous collectons la plupart de nos données) ne
l’est pas. Dans ce contexte, le critère de manipulation est un
invité imprévu, voire malvenu. Que faire ? Bien sûr, on peut
étendre la définition d’une cause afin qu’elle convienne à nos
habitudes, et il y a toujours beaucoup à dire pour le pluralisme et
la tolérance, en science comme ailleurs. Mais si on se pose la
question, « ce langage de causalité, pourquoi nous intéresse-t-il
tant ? » on revient sur l’idée que, au fond, on s’efforce de
découvrir ce qui va se passer si nous faisons quelque chose, quand
nous agissons. De là, trois constatations et/ou implications
:
- Que c’est par la capacité d’action plus que par celle de manipulation expérimentale que « les vraies causes » s’annoncent, et qu’en tout cas, les choses immuables ne devraient probablement pas être considérées en tant que « causes » ;
- Que dans le monde social, la plupart des actions se déroulent à un niveau plus élevé que celui de l’individu (et, par conséquent, que nous nous trompons avec la plupart de nos « analyses causales ») ;
- Que l’établissement des « effets d’une cause », l’obsession
actuelle de la littérature sociale scientifique américaine,
n’occupe qu’un espace exceptionnellement limité du terrain fécond
des démographes.