L’inclusion des personnes sourdes ou aveugles dans les enquêtes d’opinion
Présenté par Sébastien Fontaine (Université de Liège) - Discutante : Géraldine Vivier (Ined)
Les personnes handicapées sont généralement exclues des enquêtes
d’opinion...
En Belgique le nombre de sourds et de malentendants est estimé à
400.000 (dont 40.000 sont totalement sourds) le nombre de
non-voyants est quant à lui estimé à 20.000. En tout, cela
représente entre 2.2% et 4% de la population belge.
Dans l’Enquête Sociale Européenne, comme dans la plupart des
enquêtes d’opinion à visée scientifique, les personnes ayant un
handicap sensoriel ne sont pas inclues dans les bases de données
finales des répondants. Cela pose deux problèmes à ces enquêtes :
d’une part, un biais dans la mesure globale des opinions, biais qui
n’est jamais évalué. D’autre part, le fait que, sur les problèmes
généraux, l’opinion des personnes handicapées est systématiquement
ignorée.
Cette exclusion introduit très probablement des erreurs dans la
représentation de l’opinion en général.
Il est quasi certain que les personnes handicapées ainsi
systématiquement écartées ne sont pas "aléatoirement réparties dans
la population" et que leurs réponses modifieraient dans une mesure
sensible (à évaluer) les attitudes ou les comportements recensés
par ces enquêtes. De la littérature en sociologie et en psychologie
sociale, il ressort en effet qu’il existe des différences
significatives entre les personnes valides et les personnes
handicapées sur des sujets tels que la participation, la
citoyenneté, l’inclusion sociale mais aussi le bien-être et la
qualité de vie, qui sont au coeur des grandes enquêtes
internationales et en particulier de l’European Social Survey. Or,
il n’existe pratiquement aucune référence dans la littérature
concernant ce biais particulier dû à l’absence des personnes
handicapées dans les échantillons. Le premier objectif du projet de
recherche est donc d’ordre méthodologique : si des techniques
d’enquêtes adaptées au public ayant un handicap sensoriel sont
inclues dans des enquêtes généralistes, du type ESS, nous pouvons
espérer une réduction du biais de représentativité grâce à une
réduction des non-réponses (Plus précisément des "Missing Not
AtRandom", c’est à dire des non réponses non aléatoirement
réparties dans la population). A titre d’exemple, en Belgique, nous
estimons que, sur 3060 personnes contactées lors de la dernière
vague de l’ESS, environ 5.7% de l’échantillon total était constitué
de personnes handicapées et ont donc été exclues de
l’échantillon.
Cette exclusion est aussi une forme de déni à l’égard des personnes
handicapées.
L’autre objectif du projet de recherche est d’ordre éthique et
civique : elle concerne l’utilisation des statistiques obtenues par
le biais d’enquêtes d’opinion généralistes. Etant donné que les
personnes avec un handicap sensoriel ne sont pas inclues dans les
bases de
données, ils se sentent discriminés quand les résultats sont
extrapolés à l’ensemble de la population Belge. Les enquêtes
d’opinion sont une composante de l’opinion publique et il y a donc
un réel problème à la fois éthique et civique à exclure de la
récolte de données d’opinion une partie de la population en raison
d’un handicap. Ce problème apparaît encore plus clairement dans le
cas d’enquêtes d’opinion concernant la citoyenneté elle-même, ce
qui constitue la thématique dominante de l’European Social
Survey.