Histoire internationale des enquêtes ménages et ciblage de la pauvreté au Maroc. Pour une approche sociale et politique des innovations statistiques en contextes africains
Histoire internationale des enquêtes ménages et ciblage de la pauvreté au Maroc. Pour une approche sociale et politique des innovations statistiques en contextes africains
Intervenant : Boris Samuel (politiste, chargé de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement) ; Discutante : Cécile Lefèvre (Professeure de sociologie et de démographie à l’Université Paris Cité et au Cerlis, chercheure associée UR15)
Cette présentation propose de mettre en dialogue deux directions de recherche éclairant la sociologie des mesures de la pauvreté dans divers pays d’Afrique depuis les années 1980.
Le premier volet porte sur la réforme des transferts sociaux au Maroc, d’un système de subventions sur les produits de grande consommation vers une protection sociale ciblée. La décision du gouvernement et du roi de développer un ciblage fondé sur des indicateurs de pauvreté et d’adosser ce système à la constitution d’un registre national de population biométrique a confirmé la tendance au solutionnisme technologique des pouvoirs politiques du royaume. Les administrations ont notamment entrepris de répondre à la contestation sociale, nourrie entre autres par la hausse de prix ou le clientélisme, par des promesses de développement de meilleurs outils de gestion. Quelle est la légitimité des discours technocratiques auprès des citoyens ? L’usage de ces nouvelles techniques peut-il transformer les rapports de pouvoir ?
Le second volet concerne la généalogie des enquêtes sociales servant à calculer les indicateurs de ciblage de la pauvreté. La Banque Mondiale, forte de son rôle prééminent durant l’ajustement structurel, a accru son implication dans la statistique africaine dès les années 1980. Elle a pris en compte les critiques pluri-disciplinaires et hétérodoxes des outils statistiques telles que celles émanant du groupe français AMIRA (Amélioration des méthodes d’investigation en milieu rural africain) associant statisticiens et chercheurs. Sa démarche a rendu possible l’institutionnalisation d’un suivi quantitatif de la pauvreté et d’indicateurs sociaux dans des administrations aux faibles moyens, mais elle a aussi reconduit l’usage d’outils considérés comme problématiques pour la mise en chiffre des sociétés africaines, comme la catégorie « ménage ». Comment approcher les effets sociaux et politiques situés de telles innovations ? Par quelle voie ces mesures des indicateurs sociaux se sont-elles révélées (il)légitimes ?
Sans bien sur prétendre répondre de manière extensive à de telles questions, la communication cherchera à défendre le besoin de croiser plusieurs méthodes pour analyser les effets sociaux et politiques situés des outils statistiques, de la sociologie et l’histoire des techniques à l’étude politique des contextes nationaux. Elle souhaite aussi souligner des enjeux de positionnalité des chercheurs.ses dans la conduite de telles recherches, en s’interrogeant notamment sur la collaboration entre experts et chercheurs.
Biographie de Boris Samuel
Boris Samuel est chargé de recherche à l’IRD, à l’Institut des mondes africains (IMAF, UMR 243). Ses recherches analysent la mise en chiffres des sociétés africaines. Ses projets actuels portent sur les nouvelles techniques de l’Etat social au Maroc et sur les statisticiens et économistes en Afrique de l’Ouest francophone. Boris Samuel a enseigné à SciencesPo, à l’Université Paris 1 la Sorbonne, à l’Université Paris Dauphine, à l’Ecole de gouvernance et d’Economie de Rabat - Université Mohamed VI (Maroc), ainsi qu’à la faculté des Sciences Humaines et Sociales de Bamako. Il est co-rédacteur en chef de la revue Politique Africaine.