Le corps médical à Athènes de 1870 à 1960 : sa place dans l’espace urbain et dans la société athénienne
Présenté par Eugenia Bournova (Université d’Athènes) ; Discutant : Fabrice Cahen (INED)
Nous essayons de faire l’inventaire exhaustif du corps médical (au sens large, médecins et professions paramédicales) de la capitale grecque, pour ensuite s’interroger sur sa manière de s’intégrer dans la société athénienne, en même temps qu’il joue un rôle important dans la création puis la structuration des beaux quartiers, et dans le renforcement d’une élite sociale. Ce corps médical, déjà important à la fin du 19ème siècle, plus que dans d’autres capitales européennes, ne cesse de grandir jusqu’au milieu du 20ème siècle. Dès 1879 il y a un médecin pour 330 habitants à Athènes, alors que la ville n’a que 68 660 habitants, et ce ratio médecins/population s’améliore davantage alors que la population connaît une croissance considérable (l’ensemble de la Région de la Capitale a 1.852.000 habitants et 8.335 médecins et dentistes en 1960 soit un médecin pour 220 habitants).
Pendant ce presque siècle, la croissance athénienne est d’abord due à la forte migration intérieure (l’exode rural et l’attraction de la capitale), mais en 1922 se produit l’arrivée massive des réfugiés expulsés d’Asie Mineure, dont l’installation durable à Athènes est presque achevée quand se produit l’occupation allemande de la seconde guerre mondiale, marquée par une surmortalité due à la famine. A peine la libération en octobre 1944 c’est une guerre civile qui provoque de nombreux décès jusqu’en février 1945. Malgré ces épisodes de violences, la mortalité diminue dans la capitale, d’environ 24‰ vers 1900, 15‰ vers 1939 et 10‰ seulement au début de la décennie 1960.
Cette étude est longue et minutieuse, dans la mesure où le chercheur ne dispose pas de listes nominatives des Athéniens lors des recensements de la population. En dehors de la publication des tableaux statistiques des principaux résultats par le Bureau National de la Statistique, il faut aller chercher notre personnel médical dans les guides du commerce et de l’activité périodiquement publiés, en complétant ceux-ci par diverses données ou séries d’archives (celles de l’Université d’Athènes, celles de l’état civil par exemple, voire des archives privées professionnelles). Il est ainsi possible d’étudier ce personnel de la santé, ses lieux d’origine, ses études, leurs familles parfois sur plusieurs générations. La trajectoire suivie par les jeunes étudiants arrivant dans la capitale est la façon de saisir les différentes stratégies d’installation, non seulement dans les beaux quartiers, mais aussi dans l’ensemble de la ville. Cette stratégie d’implantation et la différenciation de la clientèle conduit naturellement à des clivages et une hiérarchie dans le corps médical. La création de cliniques privées dans ces nouveaux quartiers accentue ces écarts, même si avec l’extension de la ville, les cliniques aussi se diversifient et s’implantent partout. On observe le même comportement pour les pharmacies, longtemps concentrées dans le centre ville avant de rayonner dans tout le territoire. Les sages-femmes ne semblent pas avoir créé cette espèce de phénomène de concentration territoriale.
Eugenia Bournova
Eugenia Bournova est née à Larissa (Grèce) en 1958 et a fait ses études d’histoire à l’Université LYON II. Elle est professeur d’histoire économique et sociale contemporaine au Département de Sciences Economiques de l’Université d’Athènes. Ses recherches en cours concernent le monde urbain et plus précisément le comportement démographique de la population, la santé publique et les structures socio-professionnelles à Athènes la première moitie du 20eme siècle.