"L’embryon, c’est le patron" ? Injustices reproductives dans l’idéologie des 1000 jours

le Lundi 20 Janvier 2025 à l’Ined de 11h30 à 12h30, en présentiel en salle Sauvy & en visioconférence via ZOOM

"L’embryon, c’est le patron" ? Injustices reproductives dans l’idéologie des 1000 jours

Intervenante : Julie Jarty (maîtresse de conférence en sociologie à l’université de Toulouse, correspondante égalité Certop-CNRS); discutante : Mathilde Cohen (professeure de droit à l’université du Connecticut, chercheuse invitée à l’IEA Paris 2024/2025)

Dans cette intervention, j’explorerai l’idéologie reproductive des « 1000 jours », qui postule justement que la santé des générations futures dépend des comportements de santé (notamment alimentaire) des corps gestants. S’appuyant sur l’épigénétique et la science des origines fœtales, cette idéologie anticipatrice stipule que les femmes enceintes sont responsables non seulement de la santé à venir de leurs fœtus, mais aussi de leur descendance, en raison de l’impact intergénérationnel des choix alimentaires et environnementaux. La santé fœtale justifie alors une surveillance médicale accrue de la grossesse, en ciblant des risques tels que l’obésité, les cancers ou les troubles neurodéveloppementaux.

J’examinerai plus précisément comment cette approche est appréhendée par des soignant·es intervenant dans la période prénatale, m’appuyant sur les résultats d’une enquête qualitative auprès d’une cinquantaine de périnatalistes (notamment des sage-femmes, gynécologues-obstétricien·nes, diététicien·nes et diabétologues) qui exercent dans des structures publiques et privées, en zones urbaines et rurales (« déserts médicaux »), auprès de publics diversifiés. Je montrerai en quoi cette nouvelle assise donnée à la surveillance scientifique des fœtus renforce en effet l’intrusion médicale mais aussi et surtout, la catégorisation sociale des patientes. Mal armé·es pour faire face aux injustices reproductives, les périnatalistes contribuent aussi parfois à les accentuer.

Ce faisant, il s’agira de cerner, d’une part, en quoi cet apparent « pouvoir d’agir » sur les enfants à naître normalise une charge mentale accrue dès le projet d’enfants (pesant sur les femmes en premier chef). Il s’agira d’autre part de penser un autre phénomène sous-jacent, celui de la stigmatisation sociale et raciale de celles qui, faute de moyens, s’écarte d’une nouvelle norme procréative, suivant une logique frôlant l’eugénisme.

Biographie de Julie Jarty :

Sociologue, Julie Jarty est maîtresse de conférences en sociologie à l’université Toulouse Jean Jaurès. Ses recherches portent sur la maternité, les politiques publiques de l’intime et les enjeux d’égalité de genre dans les professions féminisées, notamment du soin médico-social. Chercheuse en délégation au sein de l’UR14 de l’Ined entre 2022 et 2024 où elle a mené une étude critique du programme de santé publique des 1000 premiers jours, ces derniers travaux s’attachent à formaliser des liens plus ténus entre genre, santé et procréation, à travers une critique des biais androcentriques des sciences biomédicales (de l’épigénétique et de la science des origines fœtales en particulier) et au sein des professions de santé reproductive.