Jeunes de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), une sortie difficile et une précarité résidentielle qui perdure
Communiqué Publié le 08 Avril 2021
En France, 138 000 enfants ou adolescents sont pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) au titre de l’enfance en danger, soit 1,6 % des mineurs. Si les jeunes entrent dans le dispositif à des âges très variés, tous doivent en revanche en sortir à 18 ans, âge de fin de la prise en charge légale, ou à 21 ans au plus tard s’ils obtiennent un contrat jeune majeur. Ils doivent alors subvenir eux-mêmes à leurs besoins et ne peuvent plus dépendre de l’ASE pour se loger. À partir des données de l’enquête Elap (Étude longitudinale sur l’accès à l’autonomie après le placement) et d’entretiens qualitatifs, Pascale Dietrich-Ragon, Chercheure à l’Ined, explore les modalités et le vécu de la sortie du placement sur le plan résidentiel. Une part importante des jeunes a été confrontée à une « expulsion chronique » durant leur enfance et pendant leur placement. La majorité n’a pas choisi le moment du départ de l’ASE. Dans la période qui suit, ils cumulent les difficultés pour acquérir une stabilité résidentielle.
Des jeunes confrontés de façon précoce à la précarité résidentielle
Les jeunes de l’ASE sont majoritairement issus des catégories populaires précarisées. Durant leur enfance, ils ont souvent été confrontés à des difficultés de logement avec leur famille, celles-ci étant très répandues chez les ménages aux faibles ressources. La prise en charge par l’ASE les expose, en outre, à un « ballotage » de structure en structure. Au moment de la première vague de l’enquête, près de la moitié des jeunes placés (âgés de 17 à 20 ans) était passé par au moins trois lieux de placement : 22% en avaient déjà connu trois, 9 % quatre et 17 % cinq et plus. Plus du tiers déclaraient qu’il leur était arrivé de devoir quitter un lieu d’accueil où ils auraient souhaité rester, une situation vécue comme un déplacement contraint. Même s’il existe des parcours plus stables (la moitié des jeunes a connu un ou deux lieux de placement), une part importante des enquêtés a donc été confrontée à une expulsion chronique, c’est-à-dire des déménagements forcés à répétition. Surtout, le moment de la transition vers la sortie de placement les met une nouvelle fois face à cette problématique : tous savent qu’ils vont être contraints de quitter leur lieu de vie.
La sortie de prise en charge : un départ programmé vécu comme une expulsion
Dans un contexte de restriction budgétaire et de pénurie de places dans les structures d’hébergement, les travailleurs sociaux de l’ASE sont incités à limiter le temps de l’assistance et à faire sortir les jeunes du dispositif afin d’accueillir les nouveaux entrants. Interrogés peu de temps après leur sortie de placement, seuls 29 % des enquêtés déclarent avoir quitté l’ASE de leur propre chef ou d’un commun accord avec les travailleurs sociaux. À l’inverse, 27 % affirment que c’est l’ASE qui a décidé de leur sortie de placement et 38 % sont sortis car ils ne pouvaient plus légalement être pris en charge. La majorité n’a donc pas choisi le moment du départ (36 % jugent que leur prise en charge s’est arrêtée trop tôt) et compose avec les contraintes imposées par l’institution. L’expulsion du lieu de placement a des retentissements sur tous les domaines de la vie. Le risque de se retrouver sans-abri est particulièrement élevé chez ceux qui la subissent. Parmi les enquêtés pour lesquels l’ASE a décidé de la fin de placement, 16 % ont connu la rue depuis leur sortie, alors que ce pourcentage est quasi nul quand le départ est vécu comme moins contraint.
Des jeunes en position de faiblesse sur le marché immobilier
Trois situations résidentielles se dégagent à la sortie de l’ASE : environ 20% des jeunes sortis de l’ASE rejoignent un hébergement institutionnel, le double trouve à se faire héberger, tandis qu’un peu plus du tiers accèdent à un logement autonome (Figure 1). Dans la période qui suit le départ de l’ASE, les enquêtés cumulent les désavantages sur le marché immobilier : ils sont jeunes et disposent de peu de ressources (28 % sont chômeurs, 6 % inactifs et ceux qui travaillent occupent des emplois précaires et peu qualifiés). De surcroît, ils ne peuvent pas compter sur l’appui de la famille pour les aider financièrement ou se porter garant auprès d’un bailleur. Leurs chances de se loger sur le marché privé locatif sont donc réduites, sauf pour ceux qui accèdent à un CDI et vivent dans des zones où les prix du logement ne sont pas trop élevés.
Champ : Jeunes sortis de prise en charge et non logés par l’ASE (placés lors de la première vague d’enquête dans les 7 départements étudiés).
Note : Les pourcentages sont pondérés.
Source : ELAP V2, 2015, INED-Printemps.
Enquête ELAP L’Enquête Longitudinale sur l’Autonomisation des jeunes après un Placement (ELAP), co-portée par l’Ined et le laboratoire Printemps (Univ. Paris Saclay), s’inscrit dans la lignée des grandes enquêtes longitudinales de l’lned. Elle a été réalisée en deux vagues : la première fin 2013-début 2014 auprès de 1622 jeunes âgés de 17 à 20 ans placés dans 7 départements qui accueillent un grand nombre de jeunes placés (Nord, Pas-de-Calais, Paris, Seine-et-Marne, Essonne, Seine-Saint-Denis, Hauts-de-Seine), et la seconde en 2015 auprès d’un sous-échantillon. Cette enquête est la première en France qui apporte des connaissances chiffrées sur les conditions de sortie des jeunes placés par l’aide sociale à l’enfance (ASE) et permet ainsi de mieux connaître leurs conditions de vie dans le placement à la veille de leur sortie puis quelques mois après celle-ci. |
Pour en savoir plus :
Pascale Dietrich-Ragon, « Quitter l’Aide sociale à l’enfance. De l’hébergement institutionnel aux premiers pas sur le marché immobilier », Revue Population n°4-2020.