Social ou spatial? Comprendre les nouvelles discriminations de genre en Inde

Le sex-ratio juvénile indien, qui s’est fortement dégradé durant les trente dernières années au détriment des petites filles, manifeste une inscription spatiale accusée, démarquant clairement l’Inde du Nord-ouest par son degré inhabituel de déficit féminin. Une lecture cartographique à diverses échelles ou pour diverses périodes met en évidence quelques foyers de sur-masculinité entourés de zones intermédiaires où la dégradation du sex-ratio est plus récente, alors que près d’une moitié du pays, orientée vers le sud ou l’est, semble au contraire peu affectée par le phénomène. La mesure formelle de la corrélation spatiale confirme la singularité de la géographie de la masculinité indienne.

Mais ce profil géographique ne serait-il pas le simple reflet des polarisations régionales des caractéristiques sociales, économiques ou culturelles en Inde? Dans cette présentation, nous allons tenter de comparer plus rigoureusement l’influence des facteurs sociaux et économiques à celle du déterminisme géographique. Nous rapporterons ainsi les variations de sex-ratio juvénile à une mesure de "distance sociale", que nous comparerons ensuite à la distance spatiale euclidienne. Ces variations régionales de sex-ratio seront également l’objet d’une modélisation classique, à partir de données sociales ou économiques, mais il apparaît que la dimension résiduelle géographique reste considérable: cette dernière sera testée selon diverses approches, notamment une régression spatiale qui prolonge (et revitalise) les modèles économétriques standards. Au delà de la salutaire leçon de géographie que cet exercice inspire, nous évoquerons en conclusion les mécanismes à l’œuvre dans la progression des discriminations de genre en Inde. On évoquera notamment la part relative occupée par les phénomènes de demande (prégnance du modèle patriarcal historique) et d’offre (nouvelles technologies et savoir-faire de discrimination), mais l’analyse conduit également à réfléchir aux unités sociales pertinentes pour la compréhension du phénomène de diffusion des nouvelles pratiques discriminatoires (individus, castes; localités, groupes économiques, etc.).