Une science des « croisements interraciaux ». Corrado Gini et la mobilisation pour la reconnaissance d’un « eugénisme latin » (1928-1940)
Presented by Luc Berlivet ; discussant : Fabrice Cahen
Les projets eugéniques qui se firent jours dans le monde entier, de la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1970 ont pris des formes très diverses. Dans l’entre deux guerres, une mobilisation internationale se développa en faveur d’une approche « latine » de l’eugénisme : celle-ci insistait sur le rôle de l’environnement, en contrepoint de l’hérédité, dans la détermination des qualités et des « tares » affligeant les populations humaines. La principale figure de proue de ce mouvement, ancré dans une vaste zone géographique allant de la Roumanie jusqu’à l’Amérique latine en passant par l’Italie, la France, ainsi que les territoires francophones de Suisse et de Belgique, fut le fameux statisticien italien Corrado Gini. L’objet de cette intervention est de revenir sur les expéditions scientifiques menées par Gini et le CISP (Comité Italien pour l’Etude des Problèmes de la Population) entre 1933 et 1940 pour analyser la manière dont l’étude comparées de populations « isolées » ou, au contraire, travaillées par des « croisements interraciaux » a pu être envisagée comme l’unique moyen scientifique permettant d’identifier les facteurs de « dégénérescence » des population, pour mieux la combattre. On reviendra notamment sur les efforts déployés par les scientifiques italiens et leurs collaborateurs étrangers pour évaluer le rôle respectif de l’environnement et de l’hérédité dans ces processus. On détaillera également le rôle qu’a joué ce programme de recherche dans l’institutionnalisation de « l’eugénisme latin », avant de s’interroger sur sa transformation, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.
Luc Berlivet
Luc Berlivet, historien, est chargé de recherche CNRS au Cermes3. Il combine les apports de la sociologie et de l'histoire des sciences et de la médecine pour analyser la manière dont médecins, savants et administrateurs ont cherché à caractériser les différences observables au sein des populations humaines dans une perspective d'intervention publique. Ses travaux actuels portent sur l'évolution des conceptions de l'hérédité humaine depuis la fin du dix-neuvième siècle et du rôle respectif de la "nature" et de la "culture" dans l'explication des différences et des inégalités entre individus et groupes humains. Il s'intéresse ainsi à la trajectoire des différentes disciplines scientifiques et médicales impliquées dans des projets eugéniques ; ses recherches portent en particulier sur le cas de "l'eugénisme latin" (France, Italie, Roumanie, Amérique Latine) et aux différentes manières dont fut envisagée l'influence de l'environnement sur l'hérédité elle-même. Parallèlement, il étudie l'histoire de la génétique médicale, depuis son institutionnalisation, aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale. Il enseigne à l'EHESS et est membre du conseil scientifique du doctorat européen Phoenix JDP - Dynamics of Health and Welfare.