Quantification et longue durée : l’exemple du "nombre des fonctionnaires"
Présenté par Émilien Ruiz (Centre d'études européennes, Sciences Po)
Discutante : Monique Meron (INSEE)
De ruptures en réconciliations, il n’a jamais été acquis qu’histoire et statistique aient été faites l’une pour l’autre. Depuis la lune de miel qui suivit les études fondatrices d’Ernest Labrousse dans les années 1930 et 1940, leurs relations ont été pour le moins fluctuantes et un net reflux du recours aux sources et aux méthodes quantitatives par les historiens eu lieu au cours des années 1980-1990. Bernard Lepetit pouvait ainsi écrire en 1989 que « le doute [s’était] répandu quant à la capacité du chiffre à rendre compte des comportements les plus fondamentaux. »
Une partie des enjeux qui se trouvaient au cœur de ce reflux concernait la question de « l’anachronisme des séries longues ». Les débats qui eurent lieux entre statisticiens à l’occasion de la publication de Deux siècles de travail en France par Olivier Marchand et Claude Thélot en 1991 conduisirent ainsi à une sorte de polarisation entre un fétichisme néo-positiviste et un rejet constructiviste du chiffre. Toutefois, depuis les années 2000, plusieurs chercheurs, sur des terrains aussi différents que le sex-ratio à la naissance, le nombre de morts liées à la silicose ou le travail des femmes, ont tenté de dépasser cette alternative par ce qu’il est convenu d’appeler une approche « reconstructionniste ». Ces travaux sont marqués par une conviction commune : l’histoire et la sociologie d’une production statistique ne doivent pas conduire à abandonner toute exploitation du matériau quantitatif étudié.
Partant des résultats d’une thèse de doctorat consacrée à la question des effectifs de l’État dans la France des années 1850 à 1950, mon intervention visera à proposer une contribution à ces renouvellements de l’approche quantitative des phénomènes de longue durée. Alors que la définition (qu’elle soit juridique, politique ou a fortiori statistique) des agents de l’État fut très fluctuante au cours de cette période, et tandis que acteur d’une même époque s’accordaient rarement sur ce qu’était un « fonctionnaire », est-il possible de mesurer l’évolution du « nombre des fonctionnaires » ?