Modéliser la préférence pour les garçons au Viêt Nam : les probabilités d’agrandissement selon la composition familiale
Presented by Valentine Becquet (CEPED) ; discutant : Jacques Véron (Ined)
La préférence pour les garçons au Viêt Nam est une problématique ancienne et complexe dont les implications sont toutefois contemporaines. Depuis des siècles, cette préférence de genre s’exprime notamment dans les comportements de fécondité, puisque les couples cherchent à s’assurer la naissance d’un fils en augmentant leur descendance jusqu’à ce qu’un garçon naisse (Haughton et Haughton 1995 ; Bélanger 2002 ; Pham et al. 2012). Symbolique parce que les garçons possèdent une « moralité innée » liée à leur incarnation de la transmission de la lignée, sociale car la réputation d’une famille est associée à leur existence même, leur naissance est synonyme de reconnaissance sociale.
Depuis le début du 21e siècle cependant, une nouvelle stratégie, plus adaptée au contexte de faible fécondité, a émergé suite au développement des technologies de sélection sexuelle que sont l’échographie et l’avortement. Certains parents ont recours à la sélection sexuelle prénatale des garçons – en avortant les fétus féminins – ce qui induit un déséquilibre des naissances. Le phénomène est récent en comparaison d’autres pays asiatiques tels que la Chine ou l’Inde, mais rapide ; il y a actuellement 113 naissances de garçons pour 100 naissances de filles à l’échelle nationale (GSO 2014). Toutefois, il existe d’importantes disparités régionales dans les rapports de masculinité à la naissance qui sont liées en partie à des différences dans les niveaux de fécondité et de prospérité ; mais ce sont les variations dans l’intensité de la préférence pour les garçons qui en constituent le facteur principal (Guilmoto 2012, Becquet 2016).
C’est pourquoi cette communication va s’attacher à modéliser les comportements de fécondité pour montrer la diversité territoriale de la préférence pour les garçons et les variations qui s’expriment selon les caractéristiques individuelles des couples ; en analysant dans le détail les probabilités d’agrandissement des familles selon le sexe des enfants déjà nés, nous observerons dans quelle mesure les couples adaptent leurs comportements reproductifs au désir de s’assurer la naissance d’un fils. Grâce à l’estimateur de Kaplan-Meier et aux modèles de Cox, nous verrons ainsi que cette « préférence manifeste » pour les garçons s’exprime plus fortement dans les régions du Nord, chez les couples les plus aisés et éduqués, et en milieu rural.
Valentine Becquet
Valentine Becquet a effectué une thèse en démographie à l’Ined et au Ceped (Université Paris Descartes), qui portait sur la masculinisation des naissances au Viêt Nam. Cette recherche associait à la fois une analyse statistique des recensements vietnamiens de 2009 et 2014, et trois enquêtes qualitatives effectuées pendant un séjour de terrain de 18 mois au Viêt Nam, afin d’observer les rôles de genre au sein des familles et les stratégies reproductives des couples. Elle est actuellement post-doctorante à l’Institut de Recherche pour le Développement, rattachée au Ceped. Elle travaille sur le projet PREP-CI financé par l’ANRS, qui a comme objectif d’évaluer la prophylaxie préexposition (PrEP) orale chez des travailleuses du sexe exposées au VIH en Côte d’Ivoire.