L'évolution de la fréquence des jumeaux sous la triple influence de la biologie, la médecine et les comportements familiaux
L'évolution de la fréquence des jumeaux sous la triple influence
de la biologie, la médecine et les comportements familiaux
Discutant : Jean Bouyer (Inserm-Ined Unité 569)
La proportion d’accouchements gémellaires, autour d’un accouchement
sur 100 en France jusqu’à il y a encore peu, a pu longtemps
apparaître comme une constante de l’espèce humaine ne dépendant que
de la biologie, un peu comme les proportions de naissances
masculines et féminines, figées autour de 105 garçons pour 100
filles. Le taux de gémellité a pourtant varié en France depuis le
XVIIIème siècle, tantôt à la hausse, tantôt à la baisse. Et depuis
le début des années 1970, il a connu une hausse spectaculaire de
près de 70%, sous les effets combinés des traitements contre la
stérilité, qui expliquent les deux tiers de la hausse, et du retard
des maternités, qui en explique un tiers. Après avoir retracé
l’évolution du taux de gémellité en France depuis trois siècles,
l’exposé passe en revue ses différents facteurs avec un intérêt
particulier pour deux d’entre eux peu étudiés jusqu’ici : la
limitation volontaire des naissances et la sélection par la
fertilité. Concernant la limitation volontaire des naissances, nous
avons étudié dans quelle mesure un accouchement gémellaire, qui est
un événement imprévu dans la vie des familles, modifie les
intentions de fécondité. Nous avons vérifié en particulier, grâce à
l’analyse de près d’un million de biographies féminines recueillies
par les « enquêtes familles » françaises, si les femmes qui
accouchent de jumeaux s’engagent moins souvent ou non dans d’autres
grossesses que celles qui accouchent d’un seul enfant. Et nous
avons étudié les conséquences de ces comportements sur l’évolution
du taux de gémellité. Dans la troisième partie, consacrée à la
sélection par la fertilité, nous nous intéressons à la période de
la première guerre mondiale pendant laquelle le taux de gémellité a
atteint des niveaux étonnamment élevés. Nous en expliquons la cause
: un effet de sélection des couples les plus fertiles, ces derniers
ayant plus fréquemment des jumeaux que les autres, comme nous le
montrons en étudiant des cohortes de nouveaux mariés à partir des
données des « enquêtes familles » françaises. Les facteurs influant
sur le taux de gémellité sont finalement multiples et relèvent à la
fois de la biologie et des comportements. Sensible à différents
effets où interagissent biologie, médecine et société, le taux de
gémellité est un indicateur précieux des changements biologiques et
sociaux.