Enfreindre les normes matrimoniales en Inde du Nord
Présenté par : Clémence Jullien (CNRS) ; Discutante : Virginie Rozée (Ined)
Résumé
Le phénomène de préférence de garçons et le manque de femmes qui s’en suit ont des répercussions notoires sur le marché matrimonial indien. En milieu rural punjabi, des difficultés économiques (crise agricole, manque d’emplois) et des logiques sociales (exode rural, engouement pour l’émigration) viennent s’ajouter à ce défi démographique. Dans ce contexte, les habitants affirment que les hommes « peinent à trouver une épouse locale ». Au cours de cette présentation, j’expliquerai dans quelle mesure la « pénurie d’épouses » incite les hommes punjabis et leur famille à reconsidérer les normes habituelles du choix du conjoint en matière de classe sociale, d’appartenance de caste et de confession religieuse. Par l’analyse des mariages inter-régionaux, je montrerai in fine comment les aspirations individuelles, les logiques familiales et les normes sociales se reconfigurent en Inde rurale.
Biographie de Clémence Jullien
Clémence Jullien est chargée de recherche en anthropologie au Centre d’Étude de l’Inde et de l’Asie du Sud (CEIAS). Ses recherches portent sur la santé de la reproduction et le milieu hospitalier, mais aussi sur les thématiques de mariage, de masculinité et de statut social en Inde rurale.
À partir d'une enquête de près d’un an et demi dans un hôpital public d’obstétrique et dans des bidonvilles de Jaipur (Rajasthan), Clémence Jullien expliquait, dans sa thèse, en quoi la santé de la reproduction constituait un sujet d'inquiétude grandissant en Inde. Grâce au soutien de trois prix de thèse (La Chancellerie de Paris, AMADES, GIS Asie), cette recherche a donné lieu à un ouvrage intitulé Du bidonville à l'hôpital. Nouveaux enjeux de la maternité au Rajasthan et publié aux Éditions de la FMSH en 2019. Cet ouvrage montre en quoi les programmes de santé censés garantir l'accès gratuit aux soins obstétriques, renforcent les stéréotypes existants et tendent, paradoxalement, à rendre les bénéficiaires les plus vulnérables davantage conscients des inégalités socio-économiques.
Au cours d’un double post-doctorat à l’Université de Zurich en 2017-2020, Clémence Jullien s’est ensuite intéressée à l’une des principales conséquences du déséquilibre du sex-ratio : la difficulté des hommes à trouver des épouses au Punjab indien.
Recrutée comme chargée de recherche CNRS en janvier 2021, elle ambitionne désormais d’explorer la façon dont les Jats, une puissante caste de propriétaires terriens souvent qualifiée de « dominante », réagissent face aux défis sociaux (ascension des basses castes, urbanisation), économiques (crise agricole, réformes néolibérales) et démographiques (fort déséquilibre du sex-ratio) qui menacent leur place dans les hiérarchies de castes et de classes locales du Punjab indien.