Le chômage augmente le risque de séparation
Press release Published on 16 February 2021
Depuis quelques décennies, la plupart des pays européens connaissent des niveaux de divorces et séparations élevés. Cette période a aussi été marquée par des fluctuations des taux de chômage, qui restent hauts dans certains pays. Existe-t-il un lien entre chômage et instabilité des couples ? En utilisant un vaste ensemble de données longitudinales provenant de la Belgique, de la Finlande, de la France, de l'Allemagne et de l'Italie, Anne Solaz, directrice de recherche à l’Ined, ainsi que plusieurs chercheurs européens1 ont pu mesurer pour la première fois, de manière approfondie, la conjonction entre ces deux phénomènes, au niveau individuel et global. Ce travail de recherche montre que le chômage des hommes augmente systématiquement le risque de séparation alors que celui des femmes a moins d’incidence sur la stabilité du couple. Ces résultats tendent à confirmer l’idée que le statut professionnel joue un rôle plus important pour les hommes que pour les femmes. Cependant, si le chômage individuel a un impact notable sur le risque de séparation, le lien est atténué en période de récession.
Le chômage déstabilise davantage les couples quand il affecte les hommes
Si l’ampleur des séparations varie d’un pays à l’autre en Europe, une tendance commune se dessine : le chômage augmente la probabilité de séparation dans les cinq pays analysés. Pour les hommes comme pour les femmes en couple, être au chômage augmente presque systématiquement la probabilité de séparation (graphiques ci-dessous). L’ampleur de l’effet du chômage varie cependant selon les pays et selon le sexe. Il est notamment plus marqué pour les hommes que pour les femmes. C’est en Belgique (Flandre) que l’écart est le plus frappant. La différence entre les sexes est moindre dans les autres pays, mais elle reste significative. En France par exemple, être au chômage plutôt qu’en emploi pour les hommes augmente de 50 % le risque de séparation, contre 40 % pour les femmes. Les écarts entre pays reflètent des différences dans l’engagement des femmes sur le marché du travail. En Finlande et en France, deux pays où la participation féminine au marché du travail est importante et dans lesquels le modèle de couple à double revenu prédomine, on observe un effet désormais marqué du chômage de la femme sur le risque de séparation, qui tend à se rapprocher de celui des hommes.
Probabilités prédites de séparation selon la situation sur le marché du travail et le sexe
Les probabilités prédites sont présentées pour la Flandre, la France, l’Allemagne et la Finlande en fixant toutes les autres covariables à leur moyenne.
Lecture : un homme au chômage en France a un risque de séparation de près de 3,8 %, contre 2,6 % lorsqu’il est en activité.
Sources : voir encadré
Des effets moins négatifs sur le couple en période de récession
Tant pour les hommes que pour les femmes en Belgique (Flandre) et en France, comme pour les hommes allemands, un risque de séparation plus important est observé lorsque le chômage survient en période de croissance économique, que pendant une récession. Dans ces trois pays, l'effet individuel du chômage semble donc plus faible en période de chômage élevé. En revanche, l’effet n’est pas significatif pour la Finlande. Cet effet lié aux conditions macro-économiques pourrait signifier qu'il y a moins de stigmatisation associée au chômage quand il est à un niveau élevé pendant une récession, et que le chômage a alors moins d'effets négatifs sur la stabilité du couple. Au contraire, le chômage, plus rare, pendant une période de croissance économique pourrait affecter davantage la stabilité du couple.
Des conséquences économiques, sociales et psychologiques genrées
Des études ont déjà montré que le chômage, souvent imprévu, peut accentuer ou créer de nouveaux problèmes relationnels au sein du couple en raison du stress psychologique, des troubles de santé et de la détérioration du bien-être associée à la perte de revenu et de statut social. Mais les écarts observés entre hommes et femmes dans cette étude suggèrent que les rapports de genre modulent les effets du chômage sur la séparation. La persistance de l’image masculine de principal pourvoyeur du foyer, plus ou moins prégnante selon les pays, pourrait expliquer que la perte d’emploi ait un effet perturbateur plus accentué chez les hommes. Le chômage pourrait avoir chez ces deniers des effets dépréciateurs et délétères plus marqués. Inquiets de ne pas être à la hauteur des attentes de leur partenaire et de leur famille, ils pourraient être davantage affectés par une perte d'estime de soi, une diminution des relations sociales, et un stress psychologique, pouvant entraîner une dépression ou des comportements addictifs avec des effets néfastes sur la santé.
Données utilisées Cette étude s'appuie sur différentes sources de données. Pour chaque pays, les données longitudinales disponibles les plus appropriées pour relier la situation économique et l'historique du couple ont été utilisées : l'enquête Divorce in Flanders (2008) pour la Belgique (région Flandre), l'enquête Familles et Employeurs (2004–2005) pour la France, et l'enquête Family and Social Subjects (2009) pour l'Italie, les données du German Socio-Economic Panel (GSOEP) pour l'Allemagne, et les données des registres pour la Finlande. Malgré leur nature différente, toutes ces sources de données fournissent des informations comparables, et l’approche longitudinale permet d’analyser finement les risques de séparation sur le temps long, des couples observés des années 80 aux années 2010. La situation actuelle de l'emploi et les épisodes de chômage sont observés annuellement depuis la création du couple jusqu'à son éventuelle séparation. |
Pour en savoir plus :
Anne Solaz, Marika Jalovaara, Michaela Kreyenfeld et al., 2020, "Unemployment and separation: Evidence from five European countries", Journal of Family Research 32: 145–176.
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1 Marika JALOVAARA (University of Turku), Michaela KREYENFELD (Hertie School of Governance), Silvia MEGGIOLARO (University of Padova), Dimitri MORTELMANS (Universiteit Antwerpen), Inge PASTEELS (Hogeschool PXL)