La mortalité infantile en hausse au Venezuela depuis la crise
Press release Published on 06 February 2019
Selon une étude publiée le 24 janvier dernier dans le journal The Lancet Global Health par Jenny Garcia, doctorante à l’Ined et à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et ses collègues des universités vénézuéliennes, la récente crise économique et humanitaire au Venezuela pourrait avoir annulé dix-huit années de progrès en matière de mortalité infantile. Alors que celle-ci avait baissé significativement entre 1950 et 2000, la mortalité infantile est passée de 15 décès pour 1 000 naissances vivantes en 2008 à 21,1 décès pour 1 000 naissances vivantes en 2016, soit un taux similaire à celui relevé à la fin des années 90. Une estimation réalisée à partir des données issues des hôpitaux et du recensement alors que le gouvernement vénézuélien a arrêté de publier les statistiques sur la mortalité depuis 2013.
Au cours de la deuxième moitié du XXème siècle, le Venezuela a connu l’une des plus importantes baisses de la mortalité infantile de toute l’Amérique Latine, passant de 108 décès pour 1 000 naissances vivantes en 1950 à 18,2 décès pour 1 000 naissances vivantes en 2000. Cette baisse significative a été le fruit de l’augmentation du niveau de vie, de l’amélioration des installations sanitaires, de campagnes de vaccination massives, de distribution d’antibiotiques et de l’éradication d’un certain nombre de vecteurs de maladies.
Depuis la récente crise économique et l’augmentation des maladies infectieuses et parasitaires, cette tendance pourrait s’être inversée. Selon les auteurs de l’article publié dans le journal The Lancet Global Health, le taux de mortalité au Venezuela a commencé à augmenter dès 2009, date à laquelle le budget alloué au système de santé vénézuélien a considérablement diminué. La mortalité infantile était ainsi de 21,1 décès pour 1 000 naissances vivantes en 2016, soit un taux 1,4 fois plus élevé que celui de 2008 (15 décès pour 1 000 naissances vivantes) mais équivalent au taux enregistré à la fin des années 1990.
Une évolution du taux de mortalité infantile est observable à partir de 2009, année où la mortalité infantile a arrêté de baisser et commencé à augmenter. La plus forte hausse a été enregistrée après 2011. En 2013, le gouvernement vénézuélien a arrêté de publier des statistiques sur la mortalité. Les statistiques officielles étant indisponibles, les chercheurs ont mobilisé toutes les données accessibles, notamment, les données hospitalières comprenant les nombres de décès, de même que des informations sur les naissances émanant de recensements et de données d’enquêtes (ENCOVI 2016). À partir de ces données, les auteurs ont construit un modèle pour calculer le taux de mortalité infantile. Ils aboutissent à un taux de mortalité infantile de 21,1 décès pour 1 000 naissances vivantes en 2016, résultat loin de l’engagement pris par le pays dans le cadre des objectifs du millénaire pour le développement (OMD) des Nations Unies, à savoir réduire la mortalité infantile à 9, ou moins, pour 1 000 naissances vivantes d’ici 2015.
La tendance à la hausse de la mortalité infantile est vraisemblablement due à la détérioration des conditions de vie et à l’effondrement du système de santé. Depuis 2016, l’Organisation mondiale de la Santé rapporte une augmentation des maladies infectieuses et parasitaires qui avaient été maîtrisées ou éradiquées lors des décennies précédentes et le parlement vénézuélien a déclaré une crise humanitaire en 2016. Depuis la crise, l'état nutritionnel s'est détérioré et un ménage sur dix déclarent ne pas avoir assez d'argent pour acheter de la nourriture en 2017. Depuis 2007, les dépenses publiques consacrées aux soins de santé ont diminué, entraînant une diminution du nombre de lits par patient et par hôpital et des campagnes de vaccination insuffisantes. En 2014, 64 % des dépenses totales de santé étaient supportés par les ménages, soit l'un des pourcentages les plus élevés d'Amérique latine. Dans le même temps, les pénuries de médicaments de base, de fournitures chirurgicales et de préparations pour nourrissons ont augmenté, rendant les soins de santé inabordables pour la plupart des Vénézuéliens.
Les auteurs de l’étude indiquent que lors de crises majeures, les causes de décès les plus courantes sont celles signalées dans les pays où le taux de mortalité infantile est le plus élevé : maladies diarrhéiques, infections respiratoires aiguës, rougeole, paludisme et malnutrition sévère. Tous ces éléments sont présents au Venezuela et auront certainement un impact négatif sur la mortalité infantile future.
Les chercheurs précisent que leur étude présente des estimations basses puisqu’ils font l’hypothèse que les enregistrements de naissances et de décès sont restés au même niveau que celui observé avant la crise, et ce, malgré la dégradation des services publics.
En savoir plus :
Jenny García(1), Gerardo Correa(2) et Brenda Rousset(3), “Trends in infant mortality in Venezuela between 1985 and 2016: a systematic analysis of demographic data”, The Lancet Global Health. 2019.
(1) Institut National d'Études Démographiques, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Paris, France
(2) Instituto de Investigaciones Económicas y Sociales IIES, Universidad Católica Andrés Bello, Caracas, Venezuela
(3) Departamento de Estadística, Escuela de Sociología (FaCES), Universidad Central de Venezuela, Caracas, Venezuela
Consultez l’article dans son intégralité à l’adresse :
https://www.thelancet.com/journals/langlo/article/PIIS2214-109X(18)30479-0/fulltext