Isabelle Attané
réagit sur l’évolution de la politique de l’enfant unique en Chine
La Chine vient d’annoncer la fin de la politique de l’enfant unique. Isabelle Attané revient sur les causes et les conséquences de cette politique. Démographe et sinologue à l’Ined, ses travaux portent sur les évolutions sociales en lien avec les changements démographiques en Chine. Elle s’intéresse en particulier aux relations de genre : discriminations envers les filles et les femmes dans la société en transition, déséquilibre numérique entre les sexes (surmasculinité démographique) et ses conséquences.
(entretien réalisé en novembre 2015)
Comment réagissez-vous à l’annonce de l’abandon de la politique de l’enfant unique ? Pensez-vous que cette nouvelle politique aura les effets attendus ?
Fin 2013, la Chine avait déjà décidé d’autoriser un deuxième enfant aux couples citadins dont l’un des deux conjoints était lui-même un enfant unique (jusque-là, seuls ceux formés de deux enfants uniques pouvaient prétendre à cette dérogation). Cet assouplissement ne s’est pas pour autant traduit par une remontée de la fécondité. En 2014, moins de 10% des couples éligibles auraient fait la demande pour un second enfant, l’obstacle étant principalement d’ordre financier. A Shanghai où, depuis 2009, les couples sont pourtant encouragés à avoir deux enfants, la fécondité reste très basse (0,7 enfant par femme en 2014). Aujourd’hui avec l’autorisation pour tous les couples d’avoir deux enfants, on assiste à un nouvel assouplissement du contrôle de naissances –qui n’est toutefois pas si radical (en effet, la règle de l’enfant unique ne s’appliquait jusqu’ici qu’à un peu plus d’un tiers des couples chinois). En outre, les déterminants socioéconomiques de la fécondité ont pris le pas sur cette politique depuis la fin des années 1990 : l’envolée des coûts du logement, la précarité accrue sur le marché du travail et les coûts très élevés de l’éducation et de la santé, permettent rarement d’avoir plus d’un enfant. Des normes en faveur des familles très restreintes se sont imposées. De ce fait, seule une politique nataliste, prévoyant des crèches, des allocations familiales, des baisses d’impôts pour les familles avec plusieurs enfants, pourrait amener les couples chinois à repenser leurs stratégies de reproduction. Sans cela, l’assouplissement de la politique de l’enfant unique, risque de rester sans impact visible sur la fécondité future.
Comment a évolué le programme de contrôle des naissances en Chine ?
La première campagne de limitation des naissances y a été lancée en 1956, suivie d’une deuxième en 1962, marquée par une libéralisation de l’avortement et de la contraception. C’est sous le coup de la troisième campagne de limitation des naissances lancée en 1971 (qui prônait un mariage plus tardif, une limitation du nombre d’enfants à deux en ville, trois à la campagne et un espacement des naissances) que la fécondité a amorcé une baisse spectaculaire. En 1979, la politique de « l’enfant unique » a été adoptée afin de favoriser la modernisation économique du pays, et limitée aux populations citadines à partir de 1984. La politique de contrôle des naissances a été appliquée avec la plus grande rigueur pendant plus de trente ans.
Le programme de contrôle des naissances a obtenu des résultats probants, mais à quel prix ? Quelles en ont été les conséquences ?
Conjugué aux effets du développement économique, le contrôle des naissances aurait permis d’empêcher 300 à 400 millions de naissances. La fécondité est passée de près de 6 enfants par femme en 1970 à moins de 1,5 aujourd’hui. Mais durant plus de quatre décennies, la coercition a été très forte (avec des millions d’avortements et de stérilisations forcés).
Une conséquence de la baisse de la fécondité a été le déséquilibre de sexes à la naissance. En 2014, il est né 117 garçons pour 100 filles (soit 15% de plus que la norme). L’enjeu démographique lié au déficit de filles est considérable : moins de filles, moins de partenaires féminines et moins de mères à l’avenir. S’il concerne surtout, depuis trente ans, la population des enfants, il commence à se répercuter aux âges adultes au fur et à mesure que les cohortes déficitaires en filles vieillissent. On estime ainsi le surplus d’hommes de 10% à 15% des cohortes dans les cohortes de jeunes adultes successives, et ce dès les années 2010. Accentuée par l’écart d’âge entre époux au mariage, le déséquilibre des sexes parmi les adultes a des répercussions sur le marché matrimonial et sur les mécanismes de formation des familles.
Enfin, avec une fécondité inférieure à 1,5 enfant par femme, le renouvellement de la population n’est plus assuré. Elle vieillit donc à une rapidité sans précédent. Au rythme actuel, en 2050, chaque personne d’âge actif aura à sa charge une personne économiquement dépendante.
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